En plein boom démographique, la Guyane au défi de l'habitat informel

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Près de la moitié des logements construits en Guyane le sont sans droit ni titre. C’est la conséquence criante d’une explosion démographique. Les acteurs de l’habitat sont lancés dans une course de vitesse contre le phénomène.

Titanesque. C’est le mot qui vient à l’esprit pour décrire la tâche des développeurs de la Guyane, confrontés à des forces dont on imagine mal l’ampleur en métropole. On ne parle pas du mouvement social de mars-avril 2017 qui a secoué le territoire d’outre-mer, mais de la puissante dynamique démographique qui le porte. Tournant autour de 50 000 habitants dans les années 80, la population de la Guyane a franchi la barre des 280 000 résidents en 2017. Et encore ne s’agit-il que des personnes en situation régulière. Le boom est dû à la fois à un solde naturel positif et à l’arrivée de migrants du Suriname et du Brésil – séparés du morceau de France (et d’Europe) par des fleuves faciles à franchir -, et d’Haïti.

500 000 habitants en 2040 ?
Selon l’Insee, le chiffre de 500 000 habitants pourrait être atteint en 2040. A moins de raser la forêt équatoriale qui occupe 96 % du sol guyanais, la population restera concentrée dans les villes de l’étroite bande littorale. Dès aujourd’hui, Cayenne, Saint-Laurent du Maroni, Rémire-Montjoly et Kourou croissent à la vitesse des fusées. Formidable élan vital, mais aussi cortège de difficultés. La moitié des Guyanais ont moins de 25 ans et 40 % de ces jeunes sont au chômage. Les établissements scolaires craquent sous la pression. 61 000 personnes se trouvent sous le seuil de pauvreté. Plus de 50 000 vivent en situation de surpeuplement, d’insalubrité ou d’inconfort.
La question du logement est particulièrement prégnante. Et trouve sa solution dans un expédient : la construction illicite, sans permis, sur des terrains publics ou privés squattés. Cet habitat "informel", pas toujours de mauvaise qualité, représente 40 % des résidences du territoire. Les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de s’opposer au phénomène. Les services d’urbanisme municipaux sont souvent réduits à une personne et l’argent manque pour démanteler des quartiers entiers. Il a fallu une grave menace de glissements de terrain pour que l’Etat procède à l’évacuation de 260 familles installées sur le Mont Baduel, à Cayenne, en 2016 et 2017. A Saint-Laurent du Maroni, le site de l’ancien hôpital récemment désaffecté connaîtra bientôt des "occupations illégales" : la mairie, l’Etat et l’agence régionale de santé se sont fait une raison, et n’envisagent que de les contenir, avant la reconversion des lieux…
"La lutte contre l’habitat informel s’apparente à une course de vitesse contre un adversaire qui ne respecte pas les règles", commente Denis Girou, directeur de l’Etablissement public foncier et d’aménagement (EPFAG). En moyenne chaque année, 2 000 habitations "officielles" sont produites en Guyane, dont 1 300 logements locatifs sociaux. Il en faudra deux à trois fois plus au cours des prochaines décennies pour répondre à la demande et commencer à résorber le parc non officiel. Avec un handicap : le manque de foncier viabilisé. "Nos trois SEM de construction doivent non seulement produire des logements mais aménager à chaque fois un petit morceau de ville avec ses dessertes et ses réseaux", soupire le président de l’association des maîtres d’ouvrages sociaux, Jean-Jacques Stauch. Ajoutées au coût élevé des matériaux, ces dépenses font grimper les prix des logements à des niveaux prohibitifs, supérieurs à ceux de l’Hexagone.

Dispositifs à la rescousse
Pour parer à la situation, l’Etat a lancé en 2016 une Opération d’intérêt national (OIN) qui se déploie sur 24 périmètres dans les secteurs de Cayenne et de Saint-Laurent du Maroni. Soit 5 800 hectares à aménager pour y bâtir en quinze ans plus de 20 000 logements, accompagnés des infrastructures et services nécessaires. C’est en tout cas la mission assignée à l’EPFA par la collectivité territoriale unique (fruit de la fusion région/département). En attendant ce grand matin de l’habitat, la Guyane mise sur les apports promis par la République dans les accords de 2017 et sur des engagements pris par l’actuel exécutif. Par exemple, la création de deux cités administratives au centre et à l’ouest du territoire et la requalification de routes et de ponts. Ou encore la réalisation d’une cité judiciaire et d’une prison à Saint-Laurent du Maroni (l’insécurité est un motif de doléance important en Guyane).
Le programme "Action Cœur de ville" est également mobilisé à Cayenne et Saint-Laurent. Et, plus étonnant dans des cités "champignons", des dossiers sont présentés au financement du NPNRU. On y retrouve l’hôpital des bords du fleuve Maroni ; il y a là 24 000 m2 de bâtiments classés à rénover le plus vite possible. La signature de la convention avec l’Anru est prévue pour la mi-2019, mais en l’absence de leadership et de stratégie collective, le projet est encore bien flou…

♦ Cet article a été réalisé à la suite d’un voyage d’études organisé par l’Association des journalistes de l’habitat et de la ville (Ajibat), du 10 au 18 novembre derniers.

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