d'a n°315
Logements : Espaces partagés, espaces fragiles

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« Vivre-ensemble », mais à quel prix ?

La crise du logement est sans cesse réduite à une question quantitative : trop peu nombreux, trop chers et trop petits. Pourtant, jamais il n’y a eu autant de logements aussi grands et par habitant. C’est le rapport que chacun entretient désormais avec l’espace qu’il habite qui a changé et qui rend obsolètes les critères trop exclusivement quantitatifs. Un logement était autrefois beaucoup plus partagé : on avait plus d’enfants, différentes générations vivaient sous un même toit et on le partageait souvent avec des personnes hors du cercle familial – apprentis, confrères ou employés. On vivait surtout dehors – et pas seulement à la campagne – parfois parce qu’il y faisait plus chaud que dedans et sans doute aussi pour échapper à la promiscuité. Dans l’espace public comme chez soi, on partageait. On pourrait dire que l’on n’était pas vraiment chez soi dans sa maison et que, dehors, on se sentait un peu chez soi !

L’habitat bourgeois a depuis circonscrit l’intimité domestique, refermant le logement sur la cellule familiale, au point que le terme cellule est devenu une synecdoque : on emploie ce terme pour parler d’un appartement. Tant qu’il y a assez de place pour tous, cette évolution sociologique n’engendre pas de crise. Mais lorsque l’offre ne répond plus à la demande, faut-il faciliter la fluidité résidentielle, construire toujours davantage ? Et si l’on commençait par mutualiser certains espaces exigeant moins d’intimité – jouer, travailler, laver son linge – ou un usage exceptionnel – faire la fête, accueillir des amis. Après Godin et son familistère, Le Corbusier avait eu l’idée d’un espace privé mais partagé par tous les habitants sur le toit des Unités d’habitation. Ces lieux mutualisés sont assez répandus dans les pays scandinaves, en Suisse ou en Espagne, mais pourquoi y en a-t-il si peu en France ? La majorité d’entre eux n’auraient pas fonctionné et ont fini par être abandonnés ou privatisés. Les Français, ces champions de la clôture de jardin infranchissable, incorrigibles individualistes, seraient-ils incapables de vivre sereinement ensemble ?

Pourtant, des architectes persistent à proposer des lieux partagés dans les habitations collectives qu’ils conçoivent, une tendance que les promoteurs privés reprennent maintenant dans leur argument de vente. Les aspirations et les comportements des habitants auraient-ils changé ? Est-ce uniquement par nécessité face à l’exiguïté de leurs logements ou parce que les usages de ces espaces sont mieux encadrés ? Nous avons interrogé bailleurs et architectes sur la réussite ou l’échec de leurs expériences. Leur première leçon est qu’il ne suffit pas de créer un local commun et de penser qu’il fonctionnera tout seul. Sa conception, sa planification et son mode de fonctionnement doivent faire l’objet d’une étude préalable approfondie. Et sans gestion rigoureuse par les habitants ou un tiers, faire advenir ce « vivre-ensemble » – mantra auquel tout le monde aspire sans vouloir en payer le prix – restera un rêve d’architecte.

Emmanuel Caille

Sommaire :

 

Magazine :

7 > Le dessin de Martin Étienne

10 > PARCOURS

L’agence Mars, En même temps

20 > MALENTENDUS SUR L’ARCHITECTURE ET ABUS DE LANGAGE DE SES DISCIPLES

Corbu, Gromort et l’Art et essai

22 > RAZZLE DAZZLE

Megalopolis, rêve de ville

28 > QUESTION PRO

Vous avez aimé Chorus ? Vous adorerez la facture électronique !

32 > PHOTOGRAPHIE

Abelardo Morell, écrire avec la lumière

40 > LE GRAND ENTRETIEN

Patrimoine émotionnel, entretien avec Eva Prats et Ricardo Flores, Flores i Prats arquitectes

50 > CONCOURS

Concours pour la rénovation et l’extension du musée de la Tapisserie de Bayeux

 

Dossier : 

ESPACES PARTAGÉS, ESPACES FRAGILES

62 > Espaces partagés, espaces fragiles

69 > Entretien avec Christian Moley

72 > « La définition de ces espaces partagés n’est pas figée, ils vont nécessairement évoluer avec le temps », entretien avec Plan Común

78 > « Le commun ne peut pas se faire sans le sens social et sans être porté par ceux qui vont le faire vivre », entretien avec Rabia Enckell, agence Courtoisie Urbaine

81 > « J’essaye de faire en sorte que l’architecture construise l’idée du partage », entretien avec Sophie Delhay

85 > La mutualisation comme palliatif à la ville dense dans la ZAC Clichy-Batignolles, Paris 17e

88 > Une salle partagée sur le toit à Nantes

90 > Une terrasse collective meublée à Paris, 14e

92 > Des espaces partagés à tous les étages au Bled à Lausanne, Suisse

98 > Stratégie de soustraction à Sant Boi de Llobregat, Espagne

Réalisations : 

104 > ATELIER MARC BARANI

Tribunal de grande instance, Aix-en-Provence

116 > KGDVS

Bibliothèque, Laethem-Saint-Martin, Belgique

Guides : 

124 > D’A LAB

Une quête d’essentiel

129 > TECHNIQUES

Quoi de neuf en menuiserie intérieure ?

Portes, plinthes, stores, claustras, panneaux sculptés, boîtes aux lettres…

144 > Les nouveautés techniques et poétiques de Light & Building 2024

147 > AGENDA

154 > QUÈZACO ?

Mais qu’est-ce donc ?

Ont participé à ce numéro : Coraline Blaise, Tristan Cuisinier, Christine Desmoulins, Lorenzo Diez, Nayla Daou-Lévi, Martin Étienne, Anne Frémy, Emma Lesieur, Thierry Meunier, Natalia Petkova, Maryse Quinton, Richard Scoffier, Xiral Segard, Mehdi Zannad

 

> Prochain numéro de d’architectures, n° 316, mai 2024