A quelques mois de la présidentielle, quel message les urbanistes ont-ils à faire passer aux politiques ? C’était le thème de la séance plénière de la seizième édition du Forum des projets urbains, organisé par Innovapresse le 15 novembre. Plus qu’une liste de propositions, les participants ont fait part de leurs réflexions sur la place de l’urbanisme, une "question centrale mais totalement absente des débats politiques".
"La question de l’urbanisme est absolument centrale mais totalement absente des débats politiques", a regretté Ariella Masboungi, architecte-urbaniste en chef de l’Etat, invitée à s’exprimer dans le cadre de la séance plénière organisée en clôture du Forum des projets urbains, le 15 novembre*. Cette dimension primordiale "pour le vivre-ensemble, pour le développement durable, pour l’économie" a même été "absente lors de la COP 21, et dans le débat pour la présidentielle américaine", poursuit le Grand Prix de l’urbanisme 2016. Or, analyse Jacques Lévy, cartes des Etats-Unis à l’appui, les résultats de l’élection montrent "un contraste important entre le vote des villes et le reste". "Plus que les oppositions de revenus, le contraste entre les différents gradients d’urbanité est majeur", insiste le géographe. Autrement dit, "les centres-villes votent pour l’ouverture, le reste contre". Ce qui n’est pas sans poser question : "qu’est-ce que cela veut dire, quand les gens choisissent dans une large mesure leur zone de résidence ?", interroge le géographe, selon qui "l’exposition à l’altérité, à l’urbanité, a un rapport avec ce choix".
Une approche trop normative
Une position quelque peu remise en cause par Félix Mulle (Atelier de l’Ourcq), lauréat du palmarès des jeunes urbanistes 2016, qui intervient sur des territoires "très peu denses". "Mon expérience n’est pas celle du rejet de l’altérité", assure-t-il, expliquant "s’appuyer au maximum sur les dynamiques locales" pour "faire du projet" malgré tout, via un "urbanisme de petits gestes, nécessairement frugal, du point de vue financier et de l’ingénierie". Ce qui implique pour l’urbaniste "d’élargir ses compétences". Il y a "un bouleversement culturel à opérer, qui est en cours mais n’est pas abouti", selon lui. En face, cela "demande davantage de lâcher prise [de la part] des pouvoirs publics". "L’approche de la fabrication de la ville est beaucoup trop normative, et s’embarrasse de beaucoup d’intermédiaires", fait encore valoir Félix Mulle. Résultat, "on perd en qualité, en franchise, en transparence dans le projet urbain". "La dichotomie entre celui qui fait et celui qui bénéficie du projet est encore trop forte", avance-t-il également. Alors pour y remédier, faut-il, comme le prônent bon nombre d’acteurs, développer la concertation ? Pourquoi pas, répond Pierre-Antoine Tiercelin (Ville ouverte), également lauréat du palmarès des jeunes urbanistes 2016, recommandant toutefois "d’éviter toute démagogie". "Il y a un écueil avec la concertation : faire que tout soit fait par les habitants. Nous avons besoin d’eux, mais aussi d’experts, et d’élus qui décident". Or, "et c’est loin d’être anecdotique", déplore-t-il, "un certain nombre d’élus ne décident plus". "Les élus locaux ont [pourtant] un rôle majeur", même si "l’Etat de les écoute pas" alors que ce sont eux "qui savent ce qui se passe sur le territoire", souligne Ariella Masboungi. Qui plaide aussi pour un "Etat impliqué, mais sur des valeurs et non des normes".
Un modèle urbain "désastreux"
Elle attend également une réponse à la "question du modèle urbain français, qui est désastreux", parce que trop permissif. Ce pays "laisse construire les centres commerciaux" en périphérie, et les centres-villes "sont en train de crever", dénonce-t-elle, appelant l’Etat à "arrêter ça" car "on prépare des choses très graves". "On a le sentiment qu’on a toujours besoin de l’Etat pour faire quelque chose", se désole de son côté Gérard Pénot (Atelier Ruelle). Pour le Grand Prix de l’urbanisme 2015, "l’idée d’un Etat fort, puissant" est "peut-être un inconvénient aujourd’hui" : "comment peut-on réinventer notre façon de penser ? […] Pourquoi a-t-on besoin de l’argent de l’Etat et pourquoi n’est-on pas capable de développer [des projets] sans ?" Peut-être, comme le suggère Ariella Masboungi, que la solution est à trouver à l’étranger. Elle recommande notamment d’observer ce qui se fait à Amsterdam ou Lisbonne en termes de participation, entendue comme "accueil d’initiatives pour faire la ville". "La question de l’urbanisme est centrale, il ne faut pas la laisser aux spécialistes…", insiste l’architecte-urbaniste. Encore faut-il que le message arrive à bon port.
* Le FPU est organisé par Innovapresse, qui édite notamment Urbapress Informations