Pour sa deuxième édition, le Forum des projets urbains de la Méditerranée, organisé par Innovapresse à Marseille, a présenté, le 8 juin, une quinzaine de projets, et s’est penché sur les particularités de l’urbanisme méditerranéen. Les défis : recoudre la ville et développer les intelligences collectives.
L’EAI à Montpellier, futur quartier créatif
Le projet de l’EAI, à Montpellier, aménagé par la SPL SA3M, prévoit 2 500 logements et 35 000 m2 d’activités tournées vers les ICC (industries culturelles et créatives), de bureaux et de commerces. Il comprend aussi un parc urbain de 21 ha avec 30 000 m3 de bassins de rétention. Les enjeux de l’opération dépassent les murs d’enceinte de l’ancien site militaire : il est question de "réparation hydraulique" au-delà de l’échelle du quartier, et de remaillage pour l’ouvrir sur les quartiers environnants (il sera traversé par une ligne de tramway). L’analyse du déjà-là a conduit l’agence d’architectes West8 à proposer de conserver certains bâtiments, qui se conjugueront avec une diversité de typologies (grands et petits collectifs).
Avignon : une stratégie d’ensemble
Elue en 2014, Cécile Helle, maire (PS) d’Avignon, a entrepris d’impulser "une dynamique urbaine et territoriale absente depuis une vingtaine d’années". La démarche est globale : opérations d’aménagement (Avignon Confluence autour de la gare TGV, écoquartier Joly-Jean au sud, quartier Bel-Air à l’est), projets de renouvellement urbain dans les quartiers populaires, projets de TCSP (Transports collectifs en site propre), développement des mobilités douces… Le centre historique doit devenir plus accueillant (et "pas à la Airbnb" selon l’élue), autour de trois axes : "révéler le patrimoine", "redonner une nouvelle vie à des bâtiments historiques", "requalifier les espaces publics". Sans oublier l’adoption, au mois d’avril, d’un schéma directeur de redéveloppement du commerce de centre-ville.
Port-Barcarès : vers un port durable et intelligent
Créé il y a 50 ans par la Mission Racine, Port-Barcarès (66) a entrepris une stratégie de renouvellement urbain axée sur la plaisance. "Ila Catala", port à énergie positive, déclinera les codes de l’urbanisme durable et ceux de la ville intelligente : reconstruction sur l’existant, éco-mobilité, accessibilité, mixité des usages et des fonctions (pôle universitaire-recherche, logements pour habitants permanents et semi-permanents, commerces), nouveaux services, gestion de l’eau dans des jardins paysagers, ville connectée, collaborative… La ville est une des premières à utiliser l’outil Semop (avec comme partenaires NGE, Vinci, MAP architecture, la Communauté urbaine Perpignan Méditerranée, la Région et l’Etat), mis au point à l’issue d’un an de dialogue compétitif. Un outil performant à condition "que la personne publique soit en osmose avec le privé, et que les règles du jeu soient précises", selon les porteurs du projet.
Perpignan retrouve la Têt
"L’agglo a décidé de ne plus tourner le dos à son fleuve", explique François Calvet, sénateur (LR) des Pyrenées-Orientales et 1er vice-président de Perpignan Méditerranée Métropole. Le projet, qui se veut "vitrine du territoire", vise à "rendre le fleuve aux habitants", par une série d’aménagements, places, parcs urbains, et une voie cyclable continue au fil de l’eau. En cœur de ville, le "Passeig", en quai haut, constituera, sur 1,5 km, un nouvel espace public d’appropriation libre. Sur les berges basses de ce fleuve au débit très différent selon la saison, verront le jour des espaces naturels pratiquables. La volonté s’étend bien au-delà de l’agglomération, et une centaine de communes riveraines de la Têt ont lancé une démarche de réhabilitation des espaces fluviaux, ainsi que de la qualité de l’eau. Le projet doit voir le jour dans cette mandature, et le marché, attribué à l’agence Base paysagistes, d’un montant de 19 M€, s’étend sur cinq ans.
OIN Eco-vallée Plaine du Var : Nice va grandir
Créé en 2008, voulue par Christian Estrosi, maire (LR) de Nice et membre du gouvernement d’alors, l’Opération d’intérêt national (OIN) Eco-vallée Plaine du Var est entrée en phase opérationnelle en 2014. Grande de 10 000 ha (dont 450 à muter), elle s’étend sur 15 communes, dont Nice, et doit transformer la vallée, qui rassemblait jusqu’ici les fonctions non désirables de la métropole, en véritable morceau de ville, surtout dans sa partie littorale, proche du vieux Nice. C’est cette partie, représentant 1 % de l’OIN, qui accueille les premiers projets lancés. L’enjeu est d’importance pour la métropole niçoise, qui présente des marchés du logement et des bureaux très tendus.
Depuis trois ans, indique l’EPA en charge de l’OIN, sur les deux opérations lancées, Grand Arenas et Nice Meridia, 38 000 m2 ont déjà été livrés, 30 000 m2 sont en chantier et 175 000 m2 sont en cours d’instruction ou d’élaboration de documents d’urbanisme. La première doit constituer un nouveau "nœud urbain, véritable baricentre de la métropole" avec l’accueil d’une gare multimodale (aéroport, nouvelle gare SNCF et deux lignes de tram). Un parc des expositions sera construit, ainsi qu’une "nouvelle offre tertiaire" et 2 000 logements. Nice Meridia, plus au nord, sera la "nouvelle technopole urbaine" et accueillera, sur 24 ha, 350 000 m2 mixtes dont les nouveaux locaux de l’Université Nice-Sophia, et donc 5 000 étudiants, mais également 5 000 emplois et 2 500 logements.
Marseille XXL devient Les Fabriques
Un temps baptisée "Trema", l’opération d’aménagement de l’îlot XXL de la Zac Littorale, sur Euroméditerranée, s’appelle désormais "Les Fabriques". Un nom destiné à illustrer l’entrée "par le développement économique et non immobilier" de ce projet porté par Bouygues Immobilier/Linkcity (architecte-urbaniste : François Kern). Le groupement développera, autour de la mutation du Marché aux puces, 200 000 m2 de bureaux, logements aux typologies variées, activités commerciales et artisanales, stationnement, équipements socio-culturels et éducatifs. Des espaces seront dédiés aux "Makers" (en s’inspirant de l’expérience d’Ici Montreuil). Egalement au programme : une conciergerie, une maison du projet, des animations éphémères sur certains fonciers…
Saint-Mauront, ancien faubourg en mutation
A 3 km du vieux-port de Marseille, aux franges d’Euroméditerranée et du centre-ville, Saint-Mauront est depuis plus de deux décennies dans le champ de radar de l’arsenal de la politique de la ville. "C’est un ancien faubourg industrialo-portuaire en pleine mutation, avec son lot de grands ensembles dégradés (ndlr : la copropriété du Parc Bellevue en plan de sauvegrarde), d’infrastructures routières taillées à la hache (l’autoroute) et de friches industrielles", explique Nicolas Binet, directeur du GIP Marseille Rénovation Urbaine. Le tout posé dans un des quartiers les plus paupérisés du pays, le 3ème arrondissement de Marseille. Après avoir été l’objet d’une première convention Anru en 2009 (montant : 81, 2 M€), l’œuvre régénératrice doit se poursuivre dans le NPNRU. Cette cure de jouvence ciblera cinq îlots décatis inclus dans l’opération Grand Centre-ville déployée par la ville et la Soleam.
Vallon Régny : couture urbaine et grand paysage
En gestation depuis dix ans, la ZAC Vallon Régny va enfin entrer en phase opérationnelle. "Le projet initial a été repensé à la suite à la création de la métropole Aix-Marseille-Provence et des retards pris dans la réalisation du boulevard urbain sud (BUS), l’axe structurant qui doit traverser la ZAC", précise Jean-Yves Miaux, directeur de la Soleam, aménageur de cette réserve foncière de 34 ha située dans les quartiers Sud de Marseille. "L’ambition est toujours la même : développer un quartier résidentiel d’environ 1 000 logements avec des équipements publics, des commerces et des bureaux", précise Marion Alberghi, chef de projet à la Soleam. Si la jauge constructible est restée inchangée, le parti d’aménagement a été revu.
Lauréate du second concours d’urbanisme en mai 2016, l’Agence Nicolas Michelin et Associés (Anma) a opté pour un projet ouvert sur le grand paysage, les Calanques, Notre-Dame-de-la-Garde… mais qui joue un rôle de couture urbaine avec le tissu environnant hétéroclite, celui d’un quartier périurbain regroupant dans un joyeux désordre pavillons et grands ensembles. "L’idée est de tirer parti de l’exceptionnelle qualité paysagère de cet espace vallonné pour intégrer le BUS et faire accepter la densité", résume Mélusine Hucault, de l’Anma. Une ambition qui devrait se concrétiser à partir de 2018, date prévue du lancement des premiers travaux d’aménagement des espaces publics.
Gênes (Italie) : connecter le vieux port au centre-ville
Après avoir été une puissante ville-monde, Gênes est devenue, au 20e siècle, un port industriel porté par les hydrocarbures et autres industries d’Etat. Celles-ci ont "ruiné la façade maritime" de la cité, estime Alberto Cappato, dg de Porto Antico SPA, la société publique de gestion du vieux port. En effet, les besoins spécifiques du trafic maritime moderne et le développement d’infrastructures lourdes comme l’autoroute surélevée (la sopraelevata) qui longe la côte, ont coupé visuellement le port du centre-ville. Le déclin industriel a porté un rude coup à la ville, qui a perdu, entre les années 1960 et 2000, environ 200 000 habitants.
A partir des années 1990, des "décideurs éclairés et très ambitieux", selon Ariella Masboungi, Grand Prix de l’urbanisme 2016, conceptrice et animatrice de l’atelier, tentent d’enrayer le dépérissement du port aussi bien que celui du centre-ville. La société de gestion du port est créée en 1995, et la ville se lance dans une politique d’accueil de grands événements, tels que l’exposition Christophe Collomb de mai 1992, pour laquelle 400 M€ ont été consacrés à la rénovation du port, ou encore le G8 de 2001, mais aussi, l’année 2004 où Gênes a été capitale européenne de la culture, qui a déclenché un plan de rénovation du centre.
Si depuis 2004, la dynamique s’est "essouflée", pour cause de renouvellement des décideurs locaux, cela "aurait sans doute été pire sans l’activisme de Porto Antico", se félicite Alberto Cappato. En effet, de nombreux aménagements urbains menés par la société, à qui la ville a cédé en gestion le foncier du port jusqu’en 2050 ont permis la créations d’espaces publics attractifs, qui ont "déplacé le centre-ville vers le vieux port". Gênes se targue aujourd’hui d’être devenue une destination touristique, et si le déclin démographique à l’échelle métropolitaine n’est pas enrayé, le centre, lui, gagne de nouveaux habitants.
Débat : l’architecture et l’urbanisme méditerranéens au service des projets urbains
"La Méditerranée est le berceau de la ville, elle continuera d’être un modèle", professe Alfred Peter, architecte invité à débattre de l’apport de l’architecture et de l’urbanisme méditerranéens aux projets urbains d’aujourd’hui. Un modèle qui, il le concède, "a été malmené. Principalement par le développement de l’automobile, qui a éclaté l’habitat, alors que pour se protéger de la chaleur, il faut se regrouper". Peut-on revenir à ce modèle aujourd’hui ? Oui, répond l’architecte, c’est même une obligation. "La nécessité du durable va nous rapprocher du bon sens de ceux qui n’avaient pas les moyens techniques de s’abstraire des contraintes naturelles", particulièrement rudes dans l’espace méditerranéen : chaleur, rareté de l’eau, vent, topographie. Christiane Mars, vice-présidente d’Envirobat BDM, qui défend le label Quartier durable méditerranéen (QDM), issu du référentiel BDM (Bâtiment durable méditerranéen), abonde. "'Méditerranéen et durable’ était un pléonasme. Il faut y revenir".
Ce qu’a tenté de faire Alfred Peter à Saint-Jeannet (06), au nord de l’OIN Eco-vallée Plaine du Var. Ce village médiéval, construit en hauteur, s’est étalé dans la plaine, "grâce à la voiture", mais au prix d’"un grand n’importe quoi" urbanistique. Son projet vise l’insertion dans la pente de plusieurs dizaines de maisons en "densité raisonnée". "Sa particularité est qu’on laisse la voiture en bas avant de monter, comme dans le village historique. Ce genre de projets ne marche que si ce n’est pas la route qui définit le projet, contrairement à tout ce qui se fait aujourd’hui". L’absence d’infrastructure permettant, en outre, de "mettre plus d’argent dans la taille des logements". Philippe Oliviero, directeur de l’association régionale des bailleurs sociaux (ARHLM) de Paca et de Corse, estime pour sa part que les maîtres d’ouvrages sociaux, en inscrivant leurs projets dans une durée plus longue que les promoteurs, produisent des logements de meilleure qualité environnementale. Mais il se désole que les solutions traditionnelles "efficaces" soient contraintes par la réglementation.
Plénière : la ville intelligente ne se décrète pas
"Entre la ville de la voiture automatique et celle où tout est fait pour que les gens se rencontrent, ce n’est pas la même smart city", pointe Hugues Parant lors de la séance plénière de clôture du FPU Med, intitulée "Rendre la ville intelligente – de la smart city à la smart community", séance qui s’interrogeait sur les processus de fabrication de la smart city. Pour le dg de l’EPA Euroméditerranée, "ce ne sont pas les Villes qui peuvent organiser le terreau économique qui constitue une smart community ; on ne peut pas tout faire, mais il faut préparer les conditions pour faire", à l’exemple de l’appel à manifestation d’intérêt de préfiguration lancé par son précédent établissement, l’Epadesa, pour impulser le renouveau du quartier des Groues, à Nanterre.
"La ville est par nature intelligente", rappelle Hélène Roussel, directrice de projet Cité intelligente à Montpellier Méditerranée Métropole. Afin de construire des solutions à partir de toutes les compétences présentes dans l’écosystème local, le territoire a mené un travail de R&D aboutissant, en 2016, à "une nouvelle feuille de route : une politique structurée autour de la donnée, avec une veille permanente, et déclinée en projets (mobilité, etc.)"
La ville intelligente, "c’est aussi offrir de l’espace et savoir dialoguer avec la nature", répond l’architecte Corinne Vezzoni, citant en exemple le campus The Camp à Aix-La Duranne, lieu d’enseignement et d’accueil de startups, composé de cellules circulaires surmontées d’un toit-parasol et entre lesquelles l’eau peut s’écouler ; ou l’opération Chalucet à Toulon, qui sera "colonisée" par un parc. Côté opérateurs immobiliers, Luc Bouvet, directeur régional d’Eiffage Construction Méditerranée, réaffirme qu’"il est de la responsabilité des élus de faire de l’aménagement. Ensuite, il faut agréger, autour de la commande publique, différents acteurs".
Et de souligner l’aspect humain : "il y a un décalage entre l’''intelligence’ (les capteurs numériques) et les comportements. Le bien vivre ensemble, ça ne se décrète pas !" Ainsi à Smartseille, le démonstrateur de l’écocité Euroméditerranée ("non pas une smart city mais un concentré d’innovations"), "la mutualisation du stationnement nécessitera un effort de chacun pour partager". L’humain est au cœur des "espaces autorisants" produits par le collectif Yes We Camp (Les Grands Voisins à Paris, Camping Marseille 2013…). Ses initiatives temporaires, développées dans un logique d’itération et de juxtaposition, incitent les citoyens de tous groupes sociaux à "devenir acteurs, retrouver les formes d’autonomie, aller vers d’autres personnes, se sentir légitimes et autorisés à intervenir". Une intelligence construite par la "mise en rencontre".
En couverture : l’atelier-débat sur l’architecture et l’urbanisme méditerranéens
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