Fin du suspens pour les 150 candidats au concours des Défis Urbains. De Rennes à Marseille en passant par le Vaulx-en-Velin, une trentaine d’initiatives ont été distinguées, le 24, juin, pour leur contribution au développement d’une ville "plus durable et inclusive".
Avec 21 catégories, 29 lauréats et 31 récompenses, les Défis Urbains ont dévoilé hier soir leur palmarès 2019. Le jury, composé de Marie-Christine Vatov, rédactrice en chef d’Innovapresse, de Basile Delacorne, rédacteur en chef adjoint, Brigitte Bariol, déléguée générale de la Fnau, Jean-Luc Poidevin, pdg de Nexity Ville et projets, Karine Ruelland, architecte, et Philippe Druon, président du Conseil français des urbanistes, s’est employé à "parcourir la diversité des enjeux et des fonctions auxquelles doit répondre la fabrique de la ville". Parmi quelque 150 candidatures, les projets distingués se sont particulièrement prononcés en faveur d’une urbanité "partagée, durable et équilibrée".
Partagée d’abord, avec, dans la catégorie "Modes d’habiter / habitat participatif", une coopérative d’habitants pour personnes vieillissantes à Vaulx-en-Velin (69), témoin du développement de la démarche en France et surtout en Europe, "où l’habitat participatif constitue déjà 8 % du parc locatif" expliquait un résident. Qui dit ville partagée dit également coproduction, participation citoyenne et bottom-up, une catégorie qui a compté deux lauréats : la Ville et la Métropole de Rennes (35) pour "Jardiner ma rue", ainsi que "La Ferme du plateau de Haye" à Maxéville (54), bientôt rebaptisée "Oasis urbaine". "C’est qu’il ne s’agit pas seulement d’une ferme", précisait son directeur, "nos activités s’étendent au maraîchage, à l’écoconstruction, à l’aquaponie… En plein cœur des Quartiers en politique de la ville (QPV) de Nancy, il s’agit de créer un lieu protéiforme et inspirant".
Et le protéiforme n’a pas manqué d’inspirer Temp’O, initiative lauréate en "Urbanisme temporaire", composée d’un réseau d’espaces en transition coordonné par Est Ensemble (93). "Nous consacrons entre 40 000 et 80 000 € par an aux 14 projets Temp’O", déclarait Mireille Alphonse, vice-présidente de l’établissement public territorial (EPT). "L’objectif est de construire ensemble, tout en laissant les porteurs d’opérations libres d’innover, et de créer de nouvelles sources d’inspiration". Cette volonté a été partagée par la démarche d’urbanisme culturel "Reconquête urbaine" à Paris (75), portée par le Polau, et récompensée dans la catégorie "Nouveaux professionnels entrants". Ici, art et culture entendent "préqualifier des espaces urbains", en accompagnant de nouveaux regards et de nouveaux usages.
L’espace public support de la démarche sociale
Moins de bâti, plus de solidaire, l’édition 2019 des Défis urbains est également celle d’un urbanisme social. A Ivry-sur-Seine (94) le Centre d’hébergement d’urgence pour migrants et roms a été primé dans la catégorie "Ville inclusive". "En deux ans, nous avons accueilli 3 500 personnes", affirmait le directeur général d’Emmaüs Solidarité, porteur du projet avec l’Atelier Rita. "La crise que nous traversons n’est pas celle des migrants, c’est la crise de leur non-accueil". Habitat et Humanisme, Univers et Conseils, Agilcare Construction et le Diocèse des Hauts-de-Seine ont également été récompensés pour "les Maisons qui déménagent", une "application sociale de l’urbanisme transitoire", à Malakoff (92). Le concept a été développé différemment à Marseille (13), par Yes We Camp, SOS Solidarité et Plateau Urbain. "Ce qui n’a pas de valeur marchande peut avoir une valeur d’usage", rappelait le porte-parole du collectif en recevant un prix pour la transformation d’un immeuble vacant en résidence sociale.
Toujours dans un esprit de partage, initié cette fois dès la conception, la Sucrerie d’Abbeville (80) a été primée dans la catégorie "Coproduction de la ville public-privé" pour la reconversion d’une usine par Les Mousquetaires et par la collectivité. L’enjeu pour le maire d’Abbeville : offrir une nouvelle vie au site, tout en "conservant l’identité du lieu et ses signaux architecturaux". Le défi s’est autrement imposé à l’équipe des MonumentalEs à Paris (75), où la place du Panthéon accueille désormais des aménagements d’urbanisme temporaire. "Une idée qui ne va pas forcément de soi dans un lieu aussi patrimonial", remarquait la porte-parole. Colauréate dans la catégorie "Espace public", la commune de Corpeau (21) et ses 950 habitants, ont fièrement présenté les aménagements réalisés aux abords de leur groupe scolaire. "Un lieu de rencontre sociale" pour le paysagiste Olivier Lesage.
Une série d’initiatives visant à faire évoluer la mobilité a permis d’encourager différemment ce lien social à Marcq-en-Barœul (59). Le jury a tenu à distinguer l’ensemble de l’opération menée par la ville à ce sujet, ainsi que sa démarche de développement du covoiturage urbain (catégorie "Transports et mobilité").
La ville durable au premier plan
Autre notion clé, celle de ville durable. Ses nombreuses implications n’ont pas manqué d’inspirer plusieurs lauréats, comme l’agence L’Anton et associés pour le Parc du Clos Fleuri (catégorie "Nature en ville") à Saint-Herblain (44). La "performance sanitaire" de leur pataugeoire ouverte au public a suscité l’enthousiasme du jury. A Paris, le trophée de la catégorie "Agriculture urbaine" est allé à la Ferme Jean Dame et au Toit du bout du monde. "C’est important", soulignait le porte-parole du collectif Toits Vivants, "cela montre que l’agriculture urbaine est ni plus ni moins qu’un projet urbain". Pour sa part, l’Atelier Zündel Cristea, sélectionné par la RIVP, a imaginé la ville durable comme un modèle d’évolutivité. "Un bâtiment doit être avant tout un contenant urbain", déclarait le porte-parole d’AZC, "capable d’assumer sa fonction, mais aussi et peut être surtout de s’adapter à l’après".
Dans la catégorie "Reconversion de friche", l’opération Novaciéries, sous l’égide de Saint-Etienne Métropole et de sa SPL Cap Métropole, ont été récompensé pour la transformation d’anciennes aciéries en programmation mixte à Saint-Chamond (42). Une opération de revitalisation a également été menée à Toulon (83) sur près de 23 hectares, et primée pour sa façon d’interroger les échelles et les pratiques de la ville (catégorie "Renouvellement urbain en centre-ville").
Peu représentés l’an passé, les QPV impriment eux aussi une nouvelle tendance au palmarès, à travers deux lauréats : à Muret (31), Emma Blanc Paysagistes, PPA Architecture pour Promologis, l’agglomération et la ville ont transformé les barres HLM en plots d’habitation pourvus d’espaces végétalisés ; et à Villiers-le-Bel (95), Tribu, Genre et Ville, Val d’Oise Habitat et de nombreux acteurs se sont mobilisés pour un programme au long cours de 248 logements. La ville de Vendôme (41) a insufflée une toute autre dynamique à son quartier du Rochambeau, dont la requalification s’est vue attribuer le prix "Ville productive". Entre la préservation de son important centre historique et l’implantation de nouvelles activités, dont un atelier LVMH, il était nécessaire, selon les porteurs du projet, de "prendre en compte ce passé sans rester dans la révérence contemplative de l’Histoire".
Les stratégies commerciales à l’honneur
Sous influence de la thématique "Ville équilibrée", le jury a choisi de récompenser le projet Libourne 2025 (catégorie "Construction métropolitaine"), porté par la ville et la communauté d’agglomération, fières de s’affirmer dans la dynamique métropolitaine de Bordeaux (33). Reconversion d’anciennes casernes, aménagement des quais, transformation de la gare, l’équipe s’est montrée "heureuse de permettre ce changement de focale". Avignon (84) a fait le choix d’accompagner un autre mouvement en conjuguant son moratoire sur les zones commerciales de périphéries à un Plan d’action stratégique pour le commerce et l’artisanat (catégorie "Stratégie commerciale"). Dans des problématiques similaires, Beauvais (60) et son agglomération ont conçu l’Observatoire du commerce dans le cadre du plan Action cœur de ville, "et les commerçants reviennent", affirmait un élu. Avec son très parisien Testeur de commerces, la Semaest a opté pour la souplesse. Exit les baux 3–6–9, les commerçants en herbe disposent de locaux tests, dépourvus de contraintes locatives et fournis clés en main. Résultat, "la moitié d’entre eux s’installent ensuite de façon pérenne, et bien souvent dans le même quartier".
La question se pose aussi dans de plus petites communes comme à Ferrières-sur-Ariège (09), village de 980 habitants, où l’agence Architecture et Paysage a fait sortir de terre un nouveau centre-bourg composé de boutiques, services et lieux de convivialité. "Un signal fort", pour le maire de la commune. Pas de centralité à créer de toutes pièces du côté de Montauban (82), mais un patrimoine à révéler. La ville, et l’agence Dessein de Ville ont été distingués par le jury pour leurs "Promenades historiques retrouvées" (catégorie "Création ou renforcement de centralité"). A Creil (60), l’harmonie passe plutôt par la couture urbaine avec une rampe de 1 200 m entre centre-ville et plateau, une "agrafe urbaine" selon les mots de l’adjoint au maire de la ville.
Reconnecter la ville
La quête d’une plus grande cohérence urbaine a guidé sous un autre jour l’aménagement du front de mer de Saint-Nazaire (44). Lauréats du prix "Rapport à l’eau", Phytolab, Forma6, et le concepteur lumière Studio Vicarini ont troqué les parkings contre un espace public plus qualitatif. Même esprit à Amiens (80) où le pôle universitaire de la Citadelle s’est distingué dans la catégorie "Interface ville-université". Reconfigurée par la Sem Amiens Aménagement, cette ancienne friche militaire s’ouvre désormais sur un nouveau quartier universitaire, et sur la ville. A Lille (59), c’est une démarche de recomposition urbaine qu’a initié la ville à travers un nouveau "corridor vert" imaginé par l’Agence Nicolas Michelin et Associés, et réalisé par la Soreli, dans le secteur du Faubourg d’Arras-Europe. L’opération a fait l’objet du prix "Coup de cœur" de la rédaction.
Enfin, après Jean-Luc Poidevin en 2016, Paul Chantereau en 2017, et Michèle Larüe-Charlus en 2018, l’organisation de l’édition 2019 des Défis Urbains a tenu à saluer le parcours d’Edith Maruéjouls, nommée personnalité de l’année. Fondatrice de l’ARObE (Atelier recherche observatoire égalité), la géographe qui définit son travail comme un "murmure", un ouvrage "à la petite couture", étudie les questions de mixité et d’égalité dans l’espace urbain. "Je n’ai pas réponse à tout", déclarait-elle à l’occasion de la cérémonie de remise des prix, "mais je pose les questions".