Le président de l’ordre des architectes, critique sur la tendance aux appels à projets innovants, propose une évolution de la formule se rapprochant du concours d’architecture "classique".
Que reprochez-vous aux appels à projets innovants type "Réinventer", qui se sont multipliés, à Paris et sa métropole, mais aussi à Angers ou encore Toulouse ?
Nous n’avons pas une vision manichéenne, tout n’est pas négatif. Il faut par contre positionner les enjeux et les processus mis en œuvre pour que de telles opérations soient positives pour les habitants. La ville se construit sur le temps long. Chaque intervention architecturale va impacter son environnement pour des décennies, voire des siècles. C’est pour cela qu’il faut au préalable poser des diagnostics, planifier un projet urbain, puis, in fine, réfléchir au projet d’aménagement qui correspond aux besoins immédiats de la collectivité en permettant de s’adapter aux besoins futurs.
Ce que nous reprochons, ce sont les opérations qui sont plus des coups médiatiques que l’aboutissement d’une réflexion sociale, écologique, environnementale. Il s’agit de la propriété collective, qui est cédée aux appétits de la promotion immobilière et du profit. Si c’est une cession au plus offrant financièrement, cela peut être un accélérateur de l’inflation des coûts immobiliers. Si c’est une cession au plus qualitatif en termes de bien commun, après une analyse poussée des sites, cela peut avoir un intérêt.
Les désavantages que vous décrivez pour la profession des architectes ne sont-ils pas contrebalancés par de nombreux avantages ?
Il y a des avantages, comme la médiatisation qui fait prendre conscience de la nécessité de la création architecturale et paysagère. Les autres avantages souvent évoqués ne sont pas du tout confirmés dans les faits. Les opérations ne vont certainement pas plus vite, sont difficilement contrôlables par une collectivité qui, une fois la propriété foncière cédée, abandonne les rênes de l’aménagement de sa ville aux lois du profit. Les opérations importantes sont d’ailleurs attribuées aux même grands groupes immobiliers et aux agences qu’elles ont choisies.
Si la question de la rémunération des architectes candidats venait à être mieux encadrée, y compris par la loi, le problème serait-il réglé ?
Non, s’il faut permettre aux professionnels de travailler dans des conditions qui encouragent l’excellence – et la rémunération en est évidemment une -, il faut également qu’ils aient un cadre, du temps de réflexion, et un programme qui leur permettent de comprendre la ville et ce qu’il convient d’imaginer pour apporter la meilleure réponse à la collectivité. Leur client n’est plus une collectivité publique qui cherche à concevoir le meilleur projet, mais un promoteur qui – et ce n’est absolument pas critiquable – essaie de faire le meilleur profit financier. Ces opérations type "Réinventer" doivent donc être des exceptions, sur des sites très particuliers, avec des études en amont conséquentes, réalisées par la collectivité et fournies aux équipes.
Quelles initiatives avez-vous prises ou comptez-vous prendre pour lutter contre ce phénomène qui semble s’installer dans le paysage ?
Nous souhaitons que ces opérations aient un cadre qualitatif pour obtenir, in fine, une évolution bénéfique du tissu urbain. Nous sommes prêts à travailler au cas par cas pour conseiller utilement les collectivités sur les choix de site, les modes opératoires garantissant des réponses intéressantes et évitant tous les effets pervers évoqués ci-dessus. Il faut clairement engager toute utilisation du foncier public dans une démarche qualité qui commence lors de l’élaboration des documents d’urbanisme.
Si l’on veut innover dans les procédures, il serait fort possible d’imaginer des concours d’architecture "classiques" conduits dans le cadre des règles de l’achat public par les collectivités. Le meilleur projet architectural ayant été choisi en analysant les impacts urbains, sociaux et environnementaux, il ferait l’objet d’une mise en concurrence des équipes de constructeurs et promoteurs. Le choix se ferait ainsi sur le meilleur rapport qualité-prix de vente de logement et non plus sur le plus haut prix d’acquisition foncière, la maîtrise d’œuvre poursuivant ensuite sa mission auprès du promoteur privé lauréat. C’est un exemple d’évolution de la formule, il y en a d’autres !
Retrouvez l’intégralité du dossier "Faire la ville avec les promoteurs ?" dans le numéro 108 de Traits urbains